Importation de véhicules via la Libye : l’Algérie face à un trafic en pleine explosion
Le phénomène d’importation de véhicules via la Libye prend une tournure préoccupante en Algérie. Des voitures à prix cassés, des documents falsifiés, des jeunes Libyens manipulés, derrière ce marché parallèle, les autorités découvrent un système tentaculaire mêlant fraude, exploitation et criminalité transfrontalière.
Dans le sud algérien, aux abords des frontières libyennes, un ballet discret mais constant de véhicules traverse les pistes sablonneuses. Derrière ces allées et venues, un marché parallèle s’est imposé : celui de l’importation de voitures en provenance de Libye.
Ce phénomène, longtemps marginal, s’est amplifié à mesure que les restrictions d’importation officielles en Algérie se durcissaient. Entre espoir d’une bonne affaire et risque d’un engrenage illégal, cette pratique met en lumière un paradoxe, la quête de mobilité des citoyens d’un côté, et l’incapacité du marché officiel à répondre à cette demande de l’autre.
Un marché parallèle alimenté par la crise automobile en Algérie
Depuis plusieurs mois, la frontière algéro-libyenne est devenue un point névralgique d’un commerce aussi lucratif qu’illégal, l’importation de véhicules. L’absence persistante de véhicules neufs sur le marché algérien, les délais interminables d’homologation et la flambée des prix ont poussé de nombreux citoyens à chercher des alternatives. Et la Libye, pays frontalier, est devenue une porte d’entrée.
Mais derrière les offres séduisantes publiées sur les réseaux sociaux, se cache une réalité plus sombre. Le ministère libyen des Affaires étrangères a récemment dénoncé « un trafic de voitures vers les pays voisins, dont l’Algérie », alertant sur l’implication croissante de réseaux criminels. Ces derniers exploitent la détresse de jeunes Libyens sans emploi pour faire transiter des véhicules hors du cadre légal.
Des jeunes Libyens recrutés pour franchir la frontière
Selon des sources locales relayées par El Khabar et DNalgérie, ces réseaux fonctionnent sur un modèle bien rodé. Des intermédiaires libyens, souvent issus de milieux précaires, sont recrutés pour transporter les véhicules jusqu’en territoire algérien. En échange, ils perçoivent entre 800 et 1 200 euros par opération.
Mais une fois la transaction effectuée, ces jeunes sont abandonnés à leur sort. En cas d’interception par les forces de sécurité, ils risquent d’être inculpés pour trafic ou contrebande, tandis que les véritables instigateurs, opérant à distance depuis la Libye ou l’Algérie, restent introuvables.
Une procédure d’importation détournée et à haut risque
En théorie, l’achat d’un véhicule en Libye par un citoyen algérien est strictement encadré. Il doit obtenir une carte de résidence libyenne pour pouvoir acquérir le véhicule, puis le faire sortir légalement du pays en respectant un cycle douanier rigoureux, retour en Libye tous les trois à six mois pour apposer le tampon officiel des douanes.
Or, cette procédure est souvent contournée. Les trafiquants proposent des « solutions clés en main » incluant de faux titres de résidence et des documents de circulation falsifiés. Selon Mustefa Zebdi, président de l’Association de protection des consommateurs, « aucun étranger ne peut légalement acheter et exporter un véhicule sans titre de séjour libyen ». Pourtant, sur le terrain, des dizaines d’automobilistes algériens circulent aujourd’hui avec des plaques libyennes et des papiers douteux.
Les risques pour les acheteurs algériens : saisies et poursuites
Pour de nombreux acheteurs, la tentation est forte : les véhicules vendus en Libye sont souvent 30 % à 50 % moins chers qu’en Algérie, avec des modèles récents introuvables sur le marché local. Mais les conséquences peuvent être désastreuses.
Les services des douanes algériennes multiplient les opérations de contrôle et les saisies. Selon une source sécuritaire, plusieurs dizaines de voitures importées via la Libye ont été immobilisées ces dernières semaines dans les wilayas de Tébessa, Illizi et Ouargla. Les propriétaires risquent non seulement la perte du véhicule, mais aussi des poursuites pour fraude ou complicité de contrebande.
Un agent des douanes à Debdeb confie sous anonymat :« Certains conducteurs ignorent qu’ils roulent avec des documents falsifiés. D’autres savent pertinemment qu’ils prennent le risque. Ce commerce illégal est devenu une véritable filière. »
Importation de véhicules via la Libye, les autorités tentent de réagir
Face à l’ampleur du phénomène, les autorités algériennes et libyennes ont renforcé la coopération bilatérale. Des réunions conjointes ont été organisées à Tripoli et Alger afin d’échanger les données sur les véhicules et les plaques d’immatriculation suspectes.
Cependant, la porosité de la frontière et la corruption locale compliquent les efforts. Les trafiquants utilisent désormais de nouveaux itinéraires via les zones désertiques du Sud, échappant aux contrôles officiels.
Le ministère libyen de l’Intérieur affirme que « les réseaux impliqués disposent de relais dans plusieurs pays » et qu’un plan de démantèlement progressif est en cours. Côté algérien, la Gendarmerie nationale appelle à la vigilance et à la dénonciation de tout véhicule suspect.
Si ce commerce parallèle prospère, c’est avant tout parce qu’il répond à une frustration réelle : le marché automobile algérien est en crise. Les importations de véhicules neufs, suspendues pendant plusieurs années, n’ont repris que lentement. Les prix des voitures d’occasion, eux, ont atteint des sommets inaccessibles pour une grande partie de la population.
Pour beaucoup, importer un véhicule via la Libye apparaît comme la seule alternative. Mais cette économie parallèle mine la sécurité frontalière, favorise la corruption et alimente un sentiment d’injustice.
Vers une régulation ou une répression renforcée ?
Le gouvernement algérien étudie actuellement de nouvelles mesures pour endiguer ce trafic. Parmi les pistes évoquées, une meilleure traçabilité des véhicules importés, la mise en place d’un système numérique d’identification et un contrôle renforcé des garages impliqués dans la revente de voitures libyennes.
Mais pour Mustefa Zebdi, la solution passe aussi par une ouverture du marché légal : « Tant que les citoyens n’auront pas accès à des voitures neuves à des prix raisonnables, ils continueront à se tourner vers les circuits parallèles. »
L’importation de véhicules via la Libye n’est pas seulement un problème douanier, c’est le reflet d’un déséquilibre économique, d’une jeunesse désemparée et de failles administratives persistantes. Tant que les conditions d’accès au marché automobile algérien ne seront pas assainies, cette filière illégale continuera de prospérer, aux dépens de la légalité et de la sécurité.




