Economie

Bureaux de change en Algérie 2025 : pourquoi ça ne décolle pas

Deux ans après l’adoption du cadre réglementaire, les bureaux de change en Algérie n’ont pas encore vu le jour. Le ministre des Finances, Abdelkrim Bouzred, révèle qu’aucune demande d’autorisation n’a été déposée, une situation qui profite au marché parallèle

En Algérie, le marché des bureaux de change officiels semble toujours au point mort. Deux ans après l’adoption d’un cadre légal par la Banque d’Algérie, aucune demande d’ouverture n’a été déposée. Une révélation troublante confirmée par le ministre des Finances, Abdelkrim Bouzred, qui alimente aujourd’hui une question majeure : le système formel est-il totalement déconnecté des réalités économiques ?

Pendant ce temps, le marché noir des devises, notamment au Square Port Saïd d’Alger, continue de prospérer, offrant des taux bien plus avantageux que ceux des banques officielles. Un euro s’y échange à 260 dinars, contre seulement 150 dinars dans les circuits légaux. Un écart de plus de 70 % qui condamne de fait toute tentative d’implantation des bureaux de change officiels.

Pourquoi les investisseurs fuient-ils ce secteur ? Que gagne (ou perd) l’État dans ce blocage ? Et surtout, La véritable question, le système des bureaux de change en Algérie peut-il réellement concurrencer la puissance du marché parallèle ?

Bureaux de change Algérie : le projet toujours bloqué ?

Depuis novembre 2023, l’Algérie dispose d’un cadre réglementaire clair pour organiser l’ouverture des bureaux de change. La Banque d’Algérie avait alors introduit ce texte tant attendu, censé offrir aux citoyens un accès encadré et sécurisé à l’achat et la vente de devises. Pourtant, en juin 2025, le constat reste sidérant : aucun bureau de change agréé n’a vu le jour.

Le ministre des Finances, Abdelkrim Bouzred, l’a confirmé lui-même lors d’une récente séance au Conseil de la Nation, « La Banque d’Algérie a mis en place le cadre réglementaire nécessaire, mais à ce jour, aucune demande d’ouverture n’a été déposée. »

Une déclaration qui surprend, mais qui illustre surtout un malaise économique profond. Ce n’est pas un problème administratif, c’est une perte totale de confiance des opérateurs économiques vis-à-vis du système formel.

Pourquoi les investisseurs boudent-ils les bureaux de change en Algérie ?

Officiellement, tout est prêt. Les textes sont publiés. Les procédures existent. Mais alors, pourquoi personne ne s’engage ? La réponse est dans les chiffres que tout Algérien connaît :

  • Taux de change officiel : 1 euro = 150 dinars
  • Taux de change marché noir (Square Port Saïd) : 1 euro = 260 dinars

Pour un citoyen ou un touriste, la différence est flagrante. Un transfert de 1 000 euros via le système bancaire rapporterait 150 000 dinars. Au marché parallèle, la même somme rapporte 260 000 dinars. L’écart de 110 000 dinars est impossible à ignorer.

  • Pourquoi ouvrir un bureau de change légal si le client continuera de préférer le Square, où le taux est 70 % plus avantageux ?
  • Quel commerçant prendrait le risque d’investir dans un secteur structurellement déficitaire ?

En vérité, les bureaux de change sont aujourd’hui condamnés par la politique officielle de surévaluation du dinar, qui ne reflète pas la valeur réelle de la devise sur le terrain.

Un marché noir des devises plus fort que l’État ?

Le marché parallèle des devises, avec le Square Port Saïd d’Alger comme épicentre, n’est pas une petite activité marginale. Il s’agit d’une économie parallèle structurée et ancrée depuis des décennies. Les Algériens savent que c’est là que s’échangent les meilleurs taux, qu’ils souhaitent, Changer des euros pour voyager, financer des études à l’étranger ou acheter des produits importés

Conséquences, même les transferts des membres de la diaspora algérienne (MRE) contournent souvent les canaux officiels. Les familles préfèrent récupérer de l’argent cash au Square plutôt que via les banques, où la valeur du transfert fond à vue d’œil.

Le ministre des Finances reconnaît lui-même la gravité de la situation. Lors de son intervention, Abdelkrim Bouzred a pointé « un véritable blocage » et admis que les citoyens comme les investisseurs n’ont aucun intérêt à utiliser les circuits légaux dans les conditions actuelles.

Le retard algérien face au Maroc et à la Tunisie

Pendant que l’Algérie reste figée, ses voisins maghrébins ont depuis longtemps trouvé des solutions plus flexibles, le Maroc a plus de 700 bureaux de change agréés, taux bancaires proches du taux réel, volume d’échange en devises maîtrisé.

Quant a la Tunisie, elle profite d’un système hybride entre banques et bureaux de change privés, avec une marge plus réaliste qui limite l’attrait du marché parallèle.

Même l’Égypte, qui a longtemps souffert d’un marché noir puissant, a réussi à réduire l’écart grâce à une politique de dévaluation contrôlée de la livre égyptienne et une meilleure fluidité des échanges.

Les conséquences concrètes : qui paie vraiment ce blocage ?

Ce blocage n’est pas neutre. Il pénalise directement :

  • Les voyageurs algériens : condamnés à changer leurs devises à des taux désavantageux s’ils utilisent les banques.
  • Les MRE : leurs transferts de fonds perdent jusqu’à 40 % de leur valeur réelle quand ils passent par les canaux officiels.
  • Les importateurs : forcés de se tourner vers le marché noir pour financer des achats en devises.
  • L’État : qui perd le contrôle des flux financiers et se prive de milliards de dinars de recettes fiscales.

Quelles solutions possibles pour sortir de l’impasse ?

La seule issue durable semble être une libéralisation progressive du marché des changes. Cela impliquerait, un rapprochement des taux officiels et parallèles, des avantages fiscaux pour les premiers investisseurs qui accepteraient d’ouvrir des bureaux de change et surtout une communication de confiance, pour rassurer les citoyens sur la fiabilité des circuits légaux

Sans une correction structurelle, les bureaux de change agréés resteront une coquille vide, et le Square Port Saïd continuera de dicter sa loi. Le ministre Bouzred a été transparent, tout est prêt, mais personne ne veut y aller. La vraie question est donc, le système des bureaux de change en Algérie est-il voué à l’échec si les taux officiels ne bougent pas ? Faut-il enfin accepter une réalité économique qui existe déjà depuis des années ?

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