Immigration

Titre de séjour : le chaos administratif en France

Renouveler son titre de séjour en France est devenu un parcours semé d’embûches. À Montpellier, la situation atteint un niveau critique. Entre saturation des services et dématérialisation opaque, des milliers de personnes basculent dans l’irrégularité malgré des démarches faites dans les règles.

Yves vit en France depuis plus de 50 ans. Il y a grandi, y a travaillé, et n’a jamais eu de souci pour renouveler son titre de séjour. Pourtant, cette année, malgré un dossier complet et déposé à temps, il se retrouve soudainement en situation irrégulière. Radié de France Travail, sans ressources, sans statut. Ce n’est pas un cas isolé. À Montpellier, la préfecture de l’Hérault est aujourd’hui submergée, au point de ne plus pouvoir traiter les demandes dans des délais raisonnables. Et pour des milliers d’étrangers vivant en toute légalité, c’est leur quotidien, leur emploi, et parfois leur logement qui basculent.

Titre de séjour, une administration débordée

À Montpellier, les délais de traitement explosent, même pour les renouvellements de titres de séjour, autrefois plus simples. Le passage au tout numérique, via la plateforme ANEF (Administration numérique des étrangers en France), censée fluidifier les démarches, produit l’effet inverse. « Un document illisible, et le dossier est rejeté. Sans notification, sans explication. »

L’avocate Julie Moulin, interrogée par Midi Libre, dénonce une machine devenue ingérable, « La préfecture de l’Hérault est saturée. Le seul recours désormais, c’est de saisir le tribunal administratif. Mais lui aussi est submergé. Les gens sont pris au piège. »

Entre rupture de droits, perte d’emploi, et impossibilité de renouveler un bail, le moindre bug numérique devient une bombe à retardement sociale. Dans certains cas, une OQTF (Obligation de Quitter le Territoire Français) tombe… pour une simple lenteur de l’administration.

Une plateforme numérique peu accessible et mal conçue

Depuis plusieurs mois, l’interface ANEF est devenue le point de passage obligé. Mais son ergonomie confuse et son instabilité technique découragent même les plus aguerris. « Même nous, qui connaissons les procédures, on ne sait jamais sur quel site aller. »

Ces mots sont ceux de Thierry Lerch, bénévole à la Cimade, une association d’aide aux étrangers. Il décrit des utilisateurs perdus entre plusieurs portails, des doublons, des erreurs de saisie impossibles à corriger, et surtout une absence totale d’accompagnement humain.

Pour les personnes âgées ou peu familiarisées avec les outils numériques, le fossé devient un mur infranchissable. Les titres de séjour de 10 ans, censés offrir une certaine stabilité, deviennent un casse-tête à renouveler. Certains se retrouvent en irrégularité sans même comprendre pourquoi.

Préfecture de Montpellier sous pression, des recours qui explosent

Interrogée par la presse, la préfecture de l’Hérault reconnaît un « moment transitoire », et concède que la plateforme numérique nécessite une réforme. Mais aucune date n’est avancée pour un retour à la normale.

Pendant ce temps, les recours explosent. Selon les chiffres communiqués par le tribunal administratif, les contentieux liés aux titres de séjour ont augmenté de 41,3 % depuis le début de l’année 2025. Des chiffres qui reflètent une crise silencieuse mais profonde, où l’illégalité n’est plus choisie, mais subie.

Une réponse juridique… réservée aux plus informés

Face à cette situation, la voie judiciaire reste le dernier recours, mais elle exige du temps, de l’argent et une bonne dose de résilience. « Certains ne mangent plus pour payer un avocat », glisse une militante associative. « D’autres abandonnent et disparaissent du radar administratif. »

En parallèle, la défiance s’installe. Des personnes qui vivent en France depuis des décennies, qui ont travaillé, cotisé, élevé leurs enfants ici, se retrouvent traitées comme des fraudeurs, simplement parce qu’un site ne fonctionne pas.

Ce qui se passe à Montpellier n’est pas un cas isolé. D’autres préfectures alertent aussi sur leur incapacité à absorber les demandes de renouvèlements de titre de séjour en France. Mais dans l’Hérault, la situation illustre à quel point un outil administratif peut devenir une arme d’exclusion, dès lors qu’il n’est ni encadré, ni corrigé.

Alors que la question migratoire reste au cœur du débat public, ce sont des citoyens de l’ombre, déjà établis, déjà intégrés, qui se retrouvent les plus pénalisés. Tant que la technologie ne sera pas au service de l’humain, et non l’inverse, ces dérives risquent de se multiplier. Et avec elles, une part silencieuse de notre société risque de glisser, sans bruit, dans l’injustice.

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